Improbable romance – 1. Les nouveaux

5 octobre 1992

Nous étions tous arrivés le même jour. La dernière fournée des nouveaux embauchés dans cette filiale Advertising d’une grande entreprise de media. Nous avions tous décroché un CDD après un recrutement extrêmement sélectif.

Nous étions tous des déracinés. Tous provinciaux venus tenter leur chance à la capitale ou ayant échoué là faute d’emploi dans leur région. Je ne venais pas de très loin, mais suffisamment pour que je ne rentre plus que certains week-ends dans ma famille. 

J’avais pris une coloc dans le XIème avec deux marseillais Chris et Phil, eux aussi rookies dans la même boîte. Ils ne venaient pas forcément du même coin des Bouches du Rhône, mais pour moi c’étaient des jumeaux et leurs paroles ensoleillées et fortes illuminaient cet appartement parisien trop sombre.

Alors, nous étions tous réunis ce matin là dans cette grande salle pour les mots de bienvenue du directeur. Quand le type avait fait son entrée on aurait dit une star. Habillé avec une tenue de créateur et des lunettes teintées. J’ai songé à cet instant que oui, j’avais bien atterri dans un autre monde, celui du travail. Et je jugeais cela à la fois excitant et un peu angoissant. 

Il y eut un tour de table et quand cela arriva sur moi, je bredouillai rapidement prénom, nom, ville de provenance et école. J’admirais les autres qui s’exprimaient avec aisance. Moi, le manque de confiance était mon pire défaut. Même si j’avais fini par réaliser de brillantes études de design, j’étais toujours pétrifié à l’idée de parler en public.

Outre mes deux colocataires, il y avait aussi Marie-Lou une petite brune sympathique qui venait de la même région que moi et Mathieu, un barbu de l’Ouest qui, bien que totalement quelconque, frimait un peu avec son costume cravate. Il s’était déjà fait remarqué avec son humour et son CV à rallonge. Le type était plus vieux que nous de quelques années, visiblement il avait déjà un peu travaillé dans un autre domaine et tentait une réorientation dans la pub. 

Dans les jours qui suivirent, nous fûmes répartis dans différentes équipes et nous ne nous retrouvions plus que du côté de la machine à café pour échanger nos impressions et/ou frustrations. Le boulot qu’on nous confiait n’avait rien d’exaltant, mais il fallait bien commencer par les bases du métier. Nous compensions tout cela avec une vie bien remplie après le travail ou certains week-ends.

J’avais bien accroché avec les marseillais. Ce qui fait que nous sortions pas mal ensemble pour nous amuser à Paris. Nous allions au cinéma, à des avant premières ou des concerts de rock. Je trouvais que c’était ça la liberté : quitter le travail et courir voir un défilé de mode ou une exposition. Tout me semblait bien mieux que dans ma ville de province gentiment endormie et sclérosée. 

Bien vite Chris, l’un des deux marseillais, s’était trouvé un mec en la personne d’un consultant externe qui travaillait sur le même plateau. Même si le type était connu pour avoir dragué tout ce qui bougeait, Chris n’avait pas eu peur de ses avances et son côté lumineux avait fait le reste. J’en avais fait une crise de jalousie pathétique en crachant je ne sais quelle insanité sur cet homme, ce qui avait outré tout le monde. 

Je pense que c’était juste cette encombrante virginité qui commençait à me monter au cerveau. Je restais un moment en froid avec mon coloc, jusqu’à ce que je ne trouve le courage de lui adresser mes excuses. Mais, j’avais brisé quelque chose. Chris quitta bien vite l’appartement pour se mettre en ménage avec son copain et Mathieu se proposa pour prendre sa place. Je me doutais qu’il souhaitait emménager avec nous parce qu’il avait un faible pour Phil. Ce dernier avait un corps de sportif et n’avait pas peur de le montrer. 

Les premiers moments de cette nouvelle cohabitation ne furent pas de tout repos. Mathieu était extrêmement maniaque concernant la propreté des lieux et le respect des règles concernant l’occupation du frigo. Par ailleurs, il lui prenait souvent l’envie d’écouter du Mylène Farmer à fond dans sa chambre et au bout d’un moment nous n’en pouvions plus d’entendre : « Je suis d’une génération désenchantée, désenchantééééeeeee… ». Il avait aussi tout un discours hallucinant pour justifier son adoration pour la chanteuse. 

D’autres jours, il s’emportait au sujet de la politique. Pour lui tout était parti à vau-l’eau depuis 1981. Il espérait le retour de sa famille politique aux prochaines législatives. Pour moi, même si la gauche m’avait déçu, elle restait mes valeurs. Celles de la classe sociale d’où je venais. Mitterrand avait tout de même dépénalisé l’homosexualité. Je ne comprenais pas comment un gay pouvait être de droite.

Si on évitait les sujets brûlants comme la politique ou ses goûts vestimentaires / musicaux discutables, le garçon avait de l’humour et il était ouvert et très prévenant avec ses amis. Il était le seul d’entre nous à posséder une voiture et c’était plutôt appréciable pour rentrer la nuit lorsqu’il n’y avait plus de métro. Cependant, il n’aimait pas trop la fête et préférait rester tranquille à l’appartement. 

Chris hors circuit, j’escortais Phil en boîte de nuit ou dans des soirées. A chaque fois, il était le seul à revenir avec quelqu’un, et j’avais l’impression de tenir la chandelle. A d’autres moments, je devais l’exfiltrer d’une fête trop arrosée où il avait bu plus que de raison et où la situation risquait de devenir dangereuse pour lui. Je pouvais compter sur le serviable Mathieu pour venir me donner un coup de main. Il avait visiblement craqué pour le blond marseillais qui représentait tout de son idéal masculin.

Pour ma part, personne ne me calculait. J’étais juste le bon copain. Le faire valoir. C’est pourquoi les bombasses voulaient toutes devenir mon ami. Comme la fois où j’avais accompagné un des mannequins du projet sur lequel je travaillais qui avait peur de se rendre seul à un dîner organisé par l’un de nos Directeurs Artistiques. Devine qui s’est  ennuyé toute la soirée au milieu de leur dragouille infernale. 

Mais qu’est-ce qui les repoussait tant en moi ? L’un de mes amis d’enfance me disait que je ressemblais à un angelot de la renaissance avec ma bouille ronde et mon épaisse chevelure bouclée. C’est vrai que j’avais gardé mes bonnes joues d’ado et que je ne passais pas mon temps libre à la salle de gym. Mais quand même, avais-je l’air si horrible ? J’ai de superbes yeux verts. Cela aurait pu en faire tomber quelques uns ça ? Cela fonctionne dans les romans les bruns aux yeux verts. Et bien non, ça ne marchait pas dans la vraie vie. J’avais juste un physique passe partout et invisible ! Voilà, INVISIBLE !

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5 octobre 1993

Un an plus tard, je retrouvais toute notre petite tribu pour fêter notre embauche en CDI. Il y avait là Chris – toujours – accompagné de son copain. Marie-Lou était venue seule, car son petit-ami musicien travaillait ce soir là. J’étais arrivé avec Phil et Mathieu. Ce dernier s’installa en face de moi. 

Dès l’apéritif, Mathieu commença à me lancer des compliments plutôt suspects du genre : « Tu as de beaux yeux. » J’étais abasourdi. Aux regards amusés et complices des autres, je compris rapidement qu’il devait se tramer un truc pas clair dont j’étais la victime pour la soirée. A ce moment, j’eus un éclair de lucidité et ma fierté prit le dessus. J’osai répondre à ses avances foireuses, songeant : « Toi mon coco, je ne serai pas le dindon de la farce que tu veux me jouer. »

J’entamais alors une partie dont j’avais si souvent été le spectateur. Et s’il voulait faire du théâtre, il ne se doutait pas qu’il était tombé sur la bonne personne. J’étais plutôt doué pour cela au collège. Ce ne fut alors qu’un florilège de bons mots de part et d’autre pour le plus grand plaisir de l’assemblée qui avait sorti le popcorn et ne se lassait pas de nous voir interpréter ce vaudeville de haute volée. 

A la fin du repas, je ne sais plus qui suggéra que nous finissions notre spectacle dans la chambre de Mathieu. Je pris cette personne aux mots et, face aux autres, ce dernier n’osa pas refuser. Après tout c’était lui qui avait entamé les hostilités, et il était maintenant prisonnier de son propre jeu. 

Marie-Lou et Phil nous enfermèrent dans la chambre de Mathieu et ils gardèrent les clés. Ils promirent de revenir ensemble le matin suivant avec les croissants. J’avais été plutôt sûr de moi jusque là, mais là dans cette pièce exiguë, je ne me sentais plus si hardi. Je m’assis sur le lit de mon coloc. Ce dernier était aussi devenu plus timide. Il me proposa un café instantané pour détendre l’atmosphère. J’acceptai de la tête et observai tout autour de moi. La déco ressemblait au locataire des lieux, des posters de Mylène, des livres d’histoire anciens, les derniers gadgets électroniques à la mode et… des mangas Yaoi. Pas des trucs trop hard me semblait-il, mais des mangas avec des histoires romantiques et douces. Je tombai des nues. 

  • Tu lis des Yaoi ? C’est bien la première fois que je vois un gay en lire. Ce n’est pas pour les filles ces trucs là ?
  • Oh… Euh… Je voulais juste découvrir ça. Un collègue du bureau m’a dit que ça l’avait inspiré pour l’une de ses pubs. 
  • Ah oui, si c’est pour le travail…

Il n’avait pas relevé le sarcasme de ma remarque et semblait vraiment gêné. 

  • Merci pour le café. Mais on fait quoi maintenant ?  

J’avais volontairement mis les pieds dans le plat. 

  • Ecoute Seb… J’ai proposé aux autres cette blague avec toi. Je ne pensais vraiment pas que ça finirait comme ça. Mais juste que tu rougisses et que tu ne saches plus où te mettre. 
  • Ben voyons ! Et maintenant que nous sommes dans ta chambre, tu racontes n’importe quoi pour ne pas aller plus loin avec moi !  Pourtant, je suis d’accord pour perdre ma virginité cette nuit. 

Je défis quelques boutons de ma chemise et je le fixai d’un air provocant; tout en étant intérieurement terrorisé de ce qui pourrait suivre.  

Il s’approcha de moi, reboutonna lentement mon vêtement et plongea son regard dans le mien.  

  • Ne sois pas ridicule ! Tu sais très bien que ce n’était qu’un jeu pour faire rire nos amis. Et puis, tu n’es pas du tout mon genre. 
  • Ah je vois. Ton genre c’est plutôt Phil. 
  • Oui, voilà. Je suis amoureux de Phil.

Je songeai que le beau marseillais n’avait vraiment aucune attirance pour lui et qu’il n’avait aucune chance. Mais je n’osai pas briser son rêve. J’avais déjà payé assez cher mes remarques désobligeantes sur le copain de Chris. Je ne me voyais pas aller encore me mêler des affaires des autres. Je préférai changer de conversation.

  • Bon, soit on dort, soit on discute pour passer le temps jusqu’à demain matin. 

Mathieu choisit de discuter. Alors, il vint s’asseoir à côté de moi et nous entamâmes un dialogue sur tout et rien. Principalement sur nos vies passées, nos familles, des trucs assez intimes. J’en appris plus sur lui. Sur ses anciennes histoires d’amour, son existence de petit dernier dans une famille bourgeoise de province. Je trouvais cela passionnant. 

De mon côté, sans tomber dans le misérabilisme, je décrivis mon enfance d’ainé dans un environnement pauvre tant sur le plan matériel que culturel. L’alcoolisme et l’homophobie du père rendant ma vie insupportable jusqu’au divorce de mes parents. Je sentis mon auditeur flancher en écoutant mes mots et l’émotion dans ma voix. Un instant, il voulut prendre ma main, mais il se rétracta. 

Au final, les heures étaient passées très vite. Et nous fûmes surpris d’entendre la clé dans la porte. C’était nos deux amis qui revenaient nous libérer. Ils plaisantèrent sur nos mines défraichies et nos vêtements de la veille. Je filai vite prendre une douche, pendant qu’ils préparaient le petits déjeuner avec les viennoiseries qu’ils nous avaient promis. 

A mon retour, je trouvais Mathieu en grande conversation avec Marie-Lou. Ils se turent lorsque j’apparus. Lorsque le premier se leva pour se rendre dans la salle de bain à son tour, la deuxième me chuchota : 

  • Il m’a dit que tu avais ébranlé toutes ses certitudes.

Je restai interdit face à cette affirmation, me demandant ce qu’il avait bien voulu dire par là. Mais, je souris. 

Le reste de la journée, je me sentis étrangement bien, comme un héros après un exploit. Les autres me regardaient différemment. Ou alors, c’était juste moi qui les voyais me regarder, alors qu’ils l’avaient probablement déjà fait auparavant. 

Je savais au fond de moi que cette histoire ne faisait que commencer. S’il y avait bien une chose qu’on ne pouvait pas me reprocher, c’était ma ténacité. Lorsque je débutais un projet, je n’abandonnais jamais. Et plus il y avait d’obstacles, plus je m’accrochais. Il était temps que le monde découvre le vrai Sébastien : Seb le warrior. 

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