Depuis quelques temps, j’ai du mal à être aussi présente sur les réseaux sociaux, car j’ai pris en charge pendant quelques mois ma mère atteinte d’une maladie neurodégénérative. Du jour au lendemain, je suis devenue aidante, à savoir auxiliaire de vie, aide soignante, taxi, cuisinière, coiffeuse, esthéticienne… Autant dire que, comme de nombreuses de personnes confrontées à cette situation, je n’étais pas prête, même si l’amour filial aide beaucoup.

Comme j’habitais assez loin et ne la voyais qu’assez peu dans l’année, je n’ai pas constaté immédiatement les premiers symptômes de sa maladie. A peine m’étais-je posée des questions lorsque je n’avais pas reçu sa traditionnelle carte d’anniversaire. Au Noël suivant, je constatais qu’elle avait oublié nos dates de naissance, mais pour le reste elle arrivait encore à donner le change.
Néanmoins, son état semblant se dégrader, ma soeur proposa de l’emmener voir un neurologue en lien avec son médecin traitant. Suite aux différents tests le résultat était sans appel : maladie neurodégénérative. Une démence sénile. Ma cadette était bouleversée. D’autant que le spécialiste la culpabilisait de ne pas l’avoir emmenée plus tôt. Quand vous n’habitez pas avec la personne, c’est difficile de constater une réelle dégradation, d’autant que lorsque vous téléphonez elle masque pas mal son état avec un discours bien rodé.
Même si je ne le critique pas, je pense que pour diverses raisons son compagnon n’a pas non plus donné l’alerte. Par la suite, entre le retrait de la voiture et la mise en place de différences aides à domicile, tout a toujours été – très – conflictuel avec lui et ses proches. Un jour, cet ami m’a téléphoné qu’il n’en pouvait plus et qu’il nous fallait prendre une décision. Il ne fallait pas me le dire deux fois. Alors, mes vieux réflexes de manager et d’organisatrice ont repris le dessus. J’ai élaboré un plan que j’ai soumis à la validation de ma soeur.
Ma mère ne pouvant plus rester seule, il a d’abord fallu la sortir en douceur de son lieu de vie, sans qu’elle ne soit choquée. Elle habitait à l’autre bout de la France, donc c’était très difficile pour moi ou ma soeur cadette de s’occuper d’elle, dont gérer ses visites médicales et autres examens. J’ai prétextée qu’elle vienne en vacances chez moi pour ne pas la brusquer. Elle y a une grande chambre agréable qu’elle a l’habitude d’occuper lorsqu’elle vient. Le seul hic, c’est qu’il y a quelques marches à monter ou à descendre selon les cas. Avant qu’elle n’arrive, j’ai donc installé une barrière afin qu’elle ne puisse tomber dans les escaliers si elle se trouve désorientée la nuit. Elle n’a que quelques pas à faire en sortant de sa chambre pour se rendre aux toilettes. J’ai complété avec des veilleuses pour plus de sécurité.
Dès ses premiers jours, j’ai mis en place un rituel quotidien afin qu’elle retrouve des repères dans sa nouvelle vie. Comme elle dort énormément, je viens la réveiller alors que la matinée est déjà bien avancée. Ensuite, je l’accompagne jusqu’à la cuisine où je lui sers son petit déjeuner et ses médicaments du matin. Je poursuis ensuite jusqu’à la salle de bain où je la laisse prendre tranquillement sa douche. Pendant ce temps, je retape son lit et prépare ses affaires pour la journée. Elle n’aura plus qu’à s’habiller seule ensuite.
La journée démarre tranquillement avec un petit tour à contempler la beauté du jardin. Souvent mon chat s’assoit tranquillement à côté d’elle. Comme s’il veillait lui aussi sur elle.
Après le repas en famille toujours animé, elle passe un bon moment à effectuer du coloriage dans une pièce climatisée (la seule de la maison). Puis, comme c’est l’été, elle m’accompagne à la piscine. Elle se trempe un peu avant d’aller bronzer quelques minutes. Elle a toujours été un lézard, mais là il faut veiller pour elle au chapeau et à la crème solaire.
Au retour, elle se repose un peu au salon avant de passer de nouveau à table en famille. Elle mange beaucoup moins qu’avant et aussi plus lentement. Il faut ainsi s’adapter à son rythme et aux quantités.
Pour la soirée, je la fais parler un peu, même si elle est parfois un peu confuse. J’essaie de lui faire comprendre un peu la situation et, surtout, de la rassurer. Tout ira bien. Nous serons toujours là pour toi.
Sinon me voilà à naviguer au milieu de nouveaux sigles (GIR, APA,…). Cela faisait déjà quelques temps que ma soeur et moi nous nous entraidions pour gérer les papiers et les demandes d’aide. Même pour obtenir ce pourquoi ma mère avait cotisé, il y avait des tas de pages à remplir avec le médecin qui râlait parce qu’il avait mieux à faire.
La difficulté c’est de voir sa mère décliner, quand un jour elle me considère comme sa soeur ou sa mère. Difficile aussi de la suivre lorsqu’elle a des hallucinations ou qu’elle nous parle du monde qu’elle s’est inventée. Elle voit des gens dans sa chambre. Elle dit ça sur un ton tellement ferme, tellement convaincue qu’on croirait qu’elle a vraiment vu des fantômes.
Même si je n’ai aucune compétence dans le domaine, j’essaie de lui maintenir des souvenirs. Ainsi, je sors de vieux albums photos et je lui demande de me dire qui sont les personnes qu’on y voit. D’autres fois, je lui fais faire des puzzles simples et je l’aide sur les parties difficiles. J’ai l’impression de devenir le parent de mon parent ou de rejouer toute une éducation, mais que je sais éphémère. Il ne s’agit là pas d’éduquer, mais d’éviter de perdre trop vite cette éducation.
La maladie évoluant par paliers, je ne sais pas ce que sera demain. J’ai juste l’exemple de ma grand-mère qui ne reconnaissait plus personne, mais qui me souriait toujours. Peut-être étais-je pour elle un bon souvenir confus. Même si elle était encore là, ce n’était déjà plus elle. La situation semble être la même, mais à un stade pour l’instant plus modéré. Une question pour l’avenir aussi, lorsque je sais qu’il y a une part d’hérédité dans la maladie. Je me dis que j’aimerais que moi aussi quelqu’un me vienne en aide avec autant de bienveillance. Mais ce ne sera sans doute pas le cas.
L’autre jour elle m’a dit qu’elle était heureuse. Elle le semble effectivement sur les photos que j’ai prises d’elle cet été. Mais qui sait ce qui peut bien se passer dans sa tête lorsqu’elle a les yeux perdus dans le vague. Elle qui a si souvent été aidante dans sa vie (pour ses parents, ses soeurs ou ses compagnons) mérite bien qu’on s’occupe d’elle à son tour. J’essaie de rendre son séjour agréable. D’ici quelques mois, elle se rapprochera de son autre fille afin de démarrer une autre étape.
