Il était parti le jour du vendredi Saint. Le jour du Catenacciu. Ma tante m’avait dit qu’il avait fini de porter sa croix. Je me souviens de l’image du porte croix. Ce pénitent masqué et habillé de rouge dans les rues de Sartène l’avait toujours marqué. Il aimait se rendre chaque année à cette procession. Je l’imagine, lui le pêcheur, au milieu de la foule emprunte d’une intense ferveur religieuse. A quoi pouvait-il bien penser ?
Après six jours à gésir sur son lit de mort, pour cause de week-end pascal, les pompes-funèbres étaient passées le matin pour la mise en bière. Puis, le moment du départ est arrivé. Les hommes en noir sont revenus dans l’après-midi pour sceller le cercueil. Alors, j’ai appelé les tantes pour leur dernier adieu. Je savais, pour l’avoir déjà connu par le passé, que ce moment serait difficile pour elles. Nous avons alors déposé auprès de lui des souvenirs de nous, des photos et des bijoux. Les tantes ont pleuré un peu. Puis, un peu plus lorsque son visage marqué par la maladie et la vieillesse a disparu sous le couvercle de chêne.
Peu après, il a quitté une dernière fois sa maison. Là où il avait voulu mourir. Les mains et les paroles douces d’une de ses soeurs et d’une gentille infirmière l’avaient accompagné jusqu’à son dernier souffle. Au moins, il n’était pas mort seul et dans la froideur d’une chambre d’hôpital. Puis, nous avons suivi en voiture le corbillard, à petite vitesse, sur les routes sinueuses de la campagne corse. Les fleurs de printemps inondaient de couleurs les champs rocheux.
Au bout d’une dizaine de minutes, nous avons atteint la petite église de granit gris du village. Là, au grand soulagement de mes tantes, nous avons vu là, devant l’entrée, un porte-drapeau, un ancien combattant du village. Il avait sans doute fait la guerre d’Algérie comme lui. Puis, le vieil homme buriné a pris place derrière l’autel, pendant que je lançais sur mon Iphone 8 le chant corse « Corsica » par Petru Guelfucci. Et, je suis restée là, longtemps, la tête baissée et la main levée, pendant l’entrée du cercueil ceint du drapeau corse dans l’allée centrale. J’avais à peine vu les gens qui étaient venus. Ses amis sans doute. Ceux qui l’avaient connu pendant toutes ces années de vie ici. Des amitiés de bistrots et des voisins du quartier. Ensuite, une de mes tantes a pris la parole, racontant le parcours de son frère, et ses derniers instants douloureux qu’elle avait partagés.
Après une simple cérémonie, telle que nous l’avions demandée, le corps a regagné le corbillard, où il a été béni par le curé, avant de démarrer au pas. Comme autrefois, nous avons suivi à pied, moi serrant mes tantes en pleurs. J’essayais de faire bonne figure en dépit de la gravité du moment. Une petite route très pentue menait jusqu’au petit cimetière situé plus haut sur la colline. Depuis notre départ, j’avais enchaîné côté musique sur « Ricordu » chantée par Jenifer et Laurent Bruschini. Lorsque nous avons passé les grilles du village des morts, « Terra » d’I Muvrini a résonné dans les ruelles silencieuses.
Là, arrivée près de la concession, une femme d’un certain âge s’est approchée de moi. Elle m’a dit être venue chanter l’hymne corse « Diu vi salve Regina » pour mon père. Car, s’il n’était pas né corse, il l’était indiscutablement d’adoption. Je n’ai pas pu retenir mes larmes, car je savais que ça lui aurait fait très plaisir. Ensuite, j’ai demandé à prendre la parole :
« J. n’était pas ce qu’on peut appeler un bon chrétien. Ce n’était pas non plus un bon père, ni un bon mari. Mais, c’était certainement un bon ami. Comme vous pouvez tous en témoigner. C’était, surtout, un grand ami de la Corse, dont il appréciait les paysages, les habitants et la culture. Et, il a su faire partager cet amour à nous, sa famille, durant toutes ces années. Il a souhaité être inhumé sur cette terre qu’il aimait tant. Il la nourrira de son corps et ne fera plus qu’un avec elle. Pour toujours et à jamais. »
Après, j’ai rejoint mes tantes, fières et émues, avant de voir le cercueil descendre dans le trou fraîchement creusé de la veille dans la terre rouge et caillouteuse. Une terre que nous avons tous jetée ensuite sur le cercueil. J’ai dit un dernier adieu au « pater » avant d’inviter ses plus proches amis à venir boire un verre à la maison. J’avais préparé des plats de charcuteries corses pour accompagner des vins de l’île de beauté.
La journée a fini plus joyeuse qu’elle avait commencé. Tout le monde était satisfait de la cérémonie réalisée dans la tradition. Quelqu’un a dit que ça lui aurait plu. J’ai souri. Il aura été dignement enterré. Le minimum qu’un enfant puisse faire pour son père. Et si son fantôme erre encore dans le maquis, il sera sans nul doute bienveillant. Pour toujours et à jamais.
Bel et touchant hommage, le tout dans la dignité .
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