C’est cette série triste « 13 reasons why » qui m’a rappelé le temps où moi aussi j’étais ado. Cela fait des lustres. C’était au siècle dernier.
En choisissant une option particulière, j’étais entrée dans un de ces lycées de centre ville. Tous les matins je prenais le bus pour quitter ma banlieue afin de m’y rendre. Il fallait encore plusieurs bonnes minutes de marche pour l’atteindre après avoir traversé de longues rues commerçantes. C’était un peu de liberté avant de m’enfermer dans ce lieu un peu austère. Il y avait là des antiquaires remplis de trésors mystérieux, une librairie fabuleuse, une herboristerie aux senteurs incroyables et pour le malheur de ma silhouette une merveilleuse boulangerie-pâtisserie. Cette dernière produisait de sublimes pains au chocolat ainsi que de délicieux et gigantesques florentins.
Je devais ensuite contourner un immense monument historique avant de gagner la porte d’entrée du bahut. Mes pas résonnaient sur les pavés qui étaient ultra casse gueule en hiver. Là, je devais montrer patte blanche. Le lycée était là derrière de très hautes portes. Il s’élevait sur de nombreux étages en un dédale de couloirs et d’escaliers. L’édifice datait probablement du 19ème siècle même si une aile semblait plus récente.
J’étais élève de 2ème C, c’était bien avant la réforme des sections. On nous disait que nous étions l’élite. Les matheux. Moi, je n’avais rien choisi, c’était le système qui avait choisi pour moi. Je vois qu’aujourd’hui rien a changé. Il y a les « S » et ceux qui ne peuvent pas entrer en « S ». Mais, alors que les maths n’avaient jamais été un problème pour moi, elles l’étaient devenues cette année là. Et quand on est très moyen dans une classe de matheux, on devient invisible. J’avais une paix royale. J’étais hors jeu de la grande compétition.
Si scolairement c’était un peu la galère à cause des maths, pour le reste j’avais trouvé la vie au lycée géniale. Bien plus mature que le collège et ses harcèlements idiots. Etait-ce réellement plus cool ou plus hypocrite ? Le fait est que j’appréciais l’ambiance. J’avais noué une amitié avec une très belle fille de ma classe : Sandrine. Elle était magnifique. De long cheveux bruns lisses, de beaux yeux dorés, un corps élancé et athlétique. Tous les regards étaient sur elle. Cette dernière, quant à elle, s’émerveillait de mes qualités artistiques : mon joli coup de crayon et la justesse de mon ton pour les récitations. Hélas pour moi, elle préféra un intello bavard comme binôme. Il l’aida pour faire ses exos de maths avant qu’elle ne tombe dans ses bras. Occupée par ses amours, elle devint ensuite un peu plus distante.
Je me rabattis alors sur une redoublante P. La fille était de fait plus mature, mais aussi sympa et réservée. Nous avions d’interminables conversations. Elle aimait que je lui lise mes romans de SF ou mes articles polémiques sur le film militariste des jumeaux réalisateurs du lycée. Sur le chemin du retour, nous discutions des derniers potins, nous moquions du prof d’anglais aux postillons ou choisissions le prochain film que nous irions voir. Nous rêvions du futur, des lendemains qui chantent, de l’espoir d’une vie meilleure que celle que nous connaissions à la maison. Nous avions encore la foi dans le rôle émancipateur du savoir, de pouvoir nous élever au delà de notre condition de naissance.
Par hasard, au milieu de ce labyrinthe, j’avais aussi recroisé une amie intime d’enfance, Agnès. Elle n’avait pas changé, physiquement, depuis que nous nous étions perdues de vue après son déménagement. Cependant, mentalement, nous étions devenues très différentes. Et globalement, il ne me fallut que peu de temps et de paroles pour comprendre que nous n’avions plus rien à nous dire. Elle était exubérante et futile, j’étais discrète et réfléchie. C’était comme si le destin avait voulu que je tourne une page. Comme un ultime adieu à l’enfance.
Cette année de seconde est sans doute la plus difficile que j’ai connue. Mais, paradoxalement, je n’en garde pas un mauvais souvenir. J’avais atteint mes limites, voilà tout. En même temps, j’avais structuré ma pensée, conforté mes ambitions et rencontré ma meilleure amie. Que pouvais-je rêver de mieux ?
* Photos extraites de la série « 13 reasons why » diffusée par Netflix.