Conte du clair de lune

Il y avait foule ce soir là dans le petit bar gay musical qu’il fréquentait après le travail. La clientèle s’était aussi considérablement rajeunie depuis la rentrée universitaire. Debout, près d’une table en terrasse, Julien fumait une cigarette tout en sirotant une bouteille de bière brune. En ces temps de distanciation, il gardait aisément ses distances. Cela faisait déjà des mois, bien avant l’épidémie, qu’il s’était comme retiré du monde, n’en devenant qu’un simple spectateur. Il en appréciait toujours la beauté, mais n’en connaissait plus le goût.

Ainsi, ce trentenaire discret, à l’allure banale, observait d’un oeil amusé les clients assis aux tables environnantes. L’un deux attira particulièrement son attention. C’était un jeune et très bel étudiant aux yeux en amandes et aux cheveux blonds décolorés. On l’aurait dit tout droit sorti d’un boys band coréen, si ce n’était sa voix sans le moindre accent. Il l’écoutait expliquer à ses amis comment sa jeune soeur fan de KPOP lui avait fait un tel look cet été, profitant de la longueur de ses cheveux. Ses compagnons le taquinaient gentiment, lui affirmant qu’avec une telle coupe, il n’avait aucune chance de rencontrer l’homme de ses rêves.

Hyunjin

Peu de temps plus tard, le jeune homme se retrouva seul attablé au départ de ses amis. Là, d’un mouvement circulaire de la tête, il scruta le monde à son tour. Et, il tomba sur le regard de Julien qui n’avait pas perdu une miette de ses faits et gestes. Surpris, ce dernier fixa sa bouteille. Mais, le blondinet se dirigea vers lui :

  • Tu as du feu ?

Le trentenaire fouilla nerveusement dans sa poche et en sortit son briquet. Il alluma la cigarette blonde qui pendait aux lèvres sublimes du bel étudiant. Le voyant de près, il pouvait maintenant admirer la perfection de son visage et les deux petites nattes colorées qui ornaient sa chevelure dorée. Tout en fumant, le garçon échangea avec Julien quelques banalités sur la douceur du temps et l’attractivité du lieu. Par moment, d’un geste charmant, il lissait une mèche à l’arrière de ses longs cheveux. Julien était fasciné par les mouvements de sa bouche large et ourlée, mais, gêné, il essayait, par moment, de regarder ailleurs. De plus en plus mal à l’aise, il fit mine de fixer sa montre et voulut prendre congé, mais l’étudiant lui proposa de reprendre un verre et héla le serveur masqué. Comme pétrifié par les yeux noirs du garçon, l’homme n’osa pas refuser.

  • Comme tu ne le demandes pas, je me nomme Théo. Théo Wang. J’ai vingt ans et je suis en école d’art. Et… j’aime les hommes plus âgés.

Devant les manières audacieuses du jeune Théo, Julien sourit et chercha une réponse spirituelle qu’il ne trouva pas. Il murmura alors son prénom en retour, mais ne résista pas à enchainer sur une provocation :

  • C’est sans doute un cliché, mais je voyais les garçons d’origine asiatique un peu plus réservés.
  • Tu regardes trop de dramas. C’est comme si les français de souche étaient tous comme dans Camping paradis ou Joséphine ange gardien !
  • C’est vrai, je regarde trop de dramas asiatiques. J’adore.

Le jeune homme s’esclaffa, mais renchérit dans le même registre plutôt sarcastique :

  • C’est sans un doute cliché, mais je ne voyais pas les mecs dans ton genre, fan de romances à l’eau de rose.
  • C’est mon côté midinette. Le monde est si laid et si triste. J’aime ces contes de fées modernes qui envoient du rêve et de la beauté.
  • Je comprends. Ma petite soeur et ma mère sont pareilles. Sans compter la musique et les danses à la maison.

L’étudiant commença de mimer une chorégraphie d’un célèbre groupe de Kpop qui déclencha le fou rire de Julien. Ce dernier songea qu’il avait affaire à un sacré numéro : extraverti, haut en couleurs et terriblement séduisant. Trop, sans doute. Il s’excusa de devoir partir, mais le jeune homme le retint par le bras :

  • Un mec qui t’attends ?
  • Non, je suis juste fatigué.
  • Je ne te plais pas ?

Théo avait de nouveau plongé son regard ensorcelant dans celui du trentenaire qui tarda à répondre. Ses lèvres pulpeuses frémissaient dans l’attente. Après, une expiration, l’homme se lança :

– Je te trouve magnifique. Cette rencontre est tellement incroyable que j’attends de voir sortir d’une minute à l’autre, une équipe de caméra cachée. Il y a quelques années, je t’aurais assurément pris par la main et t’aurais collé contre un mur dans une ruelle proche. Mais, là, maintenant, tu vois, la baise sans lendemain, ça ne m’intéresse plus. J’ai longtemps cherché l’amour. Je l’ai connu un temps. Puis, je l’ai perdu. Je l’ai cherché de nouveau, mais, à chaque fois, j’ai fait fausse route. Aujourd’hui, je suis las de ça. Alors, je vais te laisser et rentrer tranquillement chez moi.

  • Je vois. Mais, en même temps, je suis triste pour toi. Et, je te rassure, il n’y a pas de caméra cachée.

Julien sourit. Puis, d’un signe de la main, il quitta cette vision de rêve qui lui faisait mal aux yeux. Il fila jusqu’à chez lui. Il habitait à deux pâtés de maison de là. Cependant, alors qu’il venait à peine de composer le code d’entrée, quelqu’un l’attrapa par le bras. Il se retourna brusquement et reconnut Théo qui l’avait discrètement suivi.

  • Je n’ai pas envie de rentrer chez moi. Tu m’invites ?
  • Théo…
  • Juste pour discuter.

Le trentenaire soupira. Il se doutait que c’était une – très – mauvaise idée, mais il ne pouvait résister à sa mine de petit garçon perdu. C’était encore cette fichue empathie, à moins que ce ne soit autre chose, là plus bas dans son pantalon noir.

Une fois entré dans l’appartement, l’étudiant demanda où se trouvaient les toilettes. Pendant ce temps, l’occupant des lieux gagna la cuisine pour préparer un thé avant de se rendre au salon. Alors qu’il disposait des tasses d’une fine porcelaine sur la table basse, il manqua d’en briser une au retour du jeune homme. En effet, ce dernier avait retiré ses vêtements et présentait son corps frêle nu au regard affolé du trentenaire.

Julien attrapa un plaid soyeux et en couvrit Théo :

  • N’as-tu aucune notion de ce qu’est un consentement ? N’as-tu aucun respect pour toi-même et pour l’autre ?

Devant la colère de l’homme, l’étudiant tomba à genoux et baissa la tête, bredouillant d’une petite voix qu’il était désolé. Il se leva ensuite pour aller se rhabiller. Il revint rapidement, puis s’installa en tailleur près de la table basse où son hôte servait le thé selon un cérémonial sophistiqué.

  • Je te comprends… Toutes ces hormones qui s’agitent en toi. Cependant, tu dois maîtriser ton corps, maîtriser tes désirs, pour ne pas en devenir l’esclave.

Le trentenaire, dans son rôle d’aîné, avait pris des accents d’un vieux sage. Il avait suffisamment vécu pour se permettre des conseils, même s’il se doutait que son interlocuteur n’en tiendrait probablement pas compte.

Les deux hommes burent à petites gorgées le breuvage encore fumant. Théo n’avait rien goûté de tel, si ce n’était quelque chose d’approchant que préparait autrefois sa grand-mère chinoise. Découvrant la décoration de la pièce, il constata qu’il se trouvait au milieu d’une collection d’objets plus ou moins anciens originaires de divers pays d’Asie du Sud Est.

  • As-tu ramené ces trucs de tes voyages ?
  • Quelques-uns. Mais, pour l’essentiel, je les ai chinés ici dans des brocantes.

Le jeune homme jugea que l’ensemble était joliment agencé, dans un style épuré digne d’un catalogue de design. L’ensemble fleurait bon le jeune cadre plutôt aisé et aux goûts très surs. Après avoir bien détaillé tout ce qui l’entourait, Théo songea que vu l’attrait de Julien pour l’extrême orient, rien n’était perdu pour lui. Alors, certes, son hôte voulait la jouer sur la retenue, mais il était prêt à mettre de côté son impatience naturelle pour arriver à ses fins. Et si ce n’était ce soir là, ce serait un soir prochain, car il avait bien des tours dans son sac pour faire succomber l’objet de ses désirs.

Ainsi, il profita du moment où le trentenaire venait de poser son mobile pour s’en saisir et aller y stocker son numéro de téléphone et son email. Puis, il lui tendit le sien, espérant que l’homme en ferait de même. Néanmoins, ce dernier hésita. Mais, après un soupir, il finit par entrer ses coordonnées à son tour, tout en le regrettant la seconde suivante. Cependant, les dés étaient lancés et il devait accepter les règles du jeu.

Peu de temps plus tard, l’étudiant quitta les lieux, tentant un baiser avant de partir. Mais Julien détourna la tête. Ce dernier fut soulagé de le voir partir. Il souffla un grand coup derrière la porte. De son côté, Théo sourit tout en lissant l’une de ses mèches blondes. Il songea qu’il avait trouvé là un challenge amusant pour occuper son temps libre.

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