Alors que sur les chemins de la mélancolie, j’écoute la voix envoûtante de Tamino, une foule d’ombres indomptées m’oppresse soudain. Plein d’images tristes me reviennent comme des flashs, tels des revenantes jamais rassasiées.
Moi, lâchant brusquement mon plateau à la cantine lorsqu’un collègue peu diplomate m’annonce la nouvelle.
Toujours moi, en salle d’attente d’un médecin, car j’avais fini par craquer après une journée passée en formalités de funérailles. Les jours suivants je les vivrai dans un état second, sous calmants.
Lui, étendu à la morgue, étrangement calme, comme simplement endormi.
Nous, sa famille, assommés, culpabilisés, en colère. Qu’avait-il bien pu lui passer par la tête quelques jours avant Noël ? La poupée qu’il avait achetée pour sa fille nous fixant d’une curieuse bienveillance, là dans un coin de sa chambre.
Nous, en larmes autour du cercueil dans un funèbre ballet d’embrassades et de souvenirs glissés.
Ma petite soeur renvoyant les intrus. Les amis nuisibles, si pressés de le suivre dans la tombe. Déjà des zombies. En sursis avant l’overdose qui les emportera à leur tour.
Nous encore, quand la terre le recouvre, nous serrant très fort les uns les autres. Tant de questions et de regrets. Aurions-nous pu le sauver ?
Nous, au commissariat cherchant des coupables, alors qu’ils savaient, eux. Ils avaient la preuve de l’impensable. Il s’était suicidé. Ils avaient trouvé une lettre d’adieu près de son corps sans vie. Et même si quelqu’un était passé peu de temps avant son acte, rien ne prouvait qu’il l’avait délibérément laissé mourir.
Moi, très émue, tenant entre mes mains le petit cahier bleu d’écolier où il avait tracé ses derniers mots. Je ne me souviens plus des phrases, mais juste que l’écriture devenait au fil des lignes de plus en plus illisible, jusqu’à finir en un long trait qui filait jusqu’en bas de la page. Comme un dernier souffle avant de sombrer.
Ma petite soeur n’y croyant pas. Jurant qu’elle rouvrirait le dossier une fois devenue professionnelle de la justice. Elle le devint réellement bien plus tard. Mais, le temps avait fait son oeuvre.
Lui s’en est allé, à l’heure où meurent les rock stars. Il en avait la révolte et la noirceur. C’était mon frère. Il me manque. Il me manquera toujours.