Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
Parler de son enfance, c’est mesurer le chemin parcouru. C’est repenser à ceux qui ne sont plus là. C’est à la fois joyeux et douloureux. Comme la vie.
Quand j’avais sept ans environ, j’habitais le centre ville insalubre d’une ville moyenne de France. Nous étions pauvres et vivions à quatre dans un deux pièces. Une cuisine et une chambre. Les toilettes se trouvaient dans la cour et nous nous lavions dans un baquet en métal. Moi et mon frère dormions dans des lits superposés. Moi en haut et lui en bas. De là, je me cachais pour apercevoir la télé louée que regardaient mes parents.
Le dimanche je filais, seule, à l’église du quartier. C’était ma période mystique. La religion, ses mystères et ses dorures m’avaient attirés. Sans doute était-ce lié à l’école religieuse que j’avais fréquenté quelque temps. Je me souviendrai toujours de l’institutrice qui nous avait affirmé que nous avions un ange qui était toujours derrière nous. Nous avions alors tous tourné nos têtes pour voir s’il était bien là. Mais, non. Il était invisible. Pas comme le coup de règle que j’avais reçu sur le dos de la main pour cause de bavardage. Il était là bien visible. J’ai toujours eu la peau fine. Les coups ça marquent.
Notre logement se trouvait en face de celui de ma grand-mère. Les jeudis, elle pouvait nous surveiller depuis chez elle, juste en passant la tête par sa fenêtre. Les autres jours elle m’emmenait à l’école et portait mon sac. Le soir, elle revenait me chercher et m’achetait à la boulangerie un pouding brioché ou un pain au lait fourré au chocolat. Puis, je montais chez elle. Un appartement tout aussi vétuste que le notre, seulement chauffé par un grand poêle à charbon où mijotait l’hiver une épaisse soupe de légumes. Souvent, je traînais dans une petite pièce où était suspendue une impressionnante collection de porte-clés publicitaires. Ces petits objets me fascinaient. Je pouvais jouer avec eux pendant des heures.
Une fois, je suis tombée très malade et je suis restée chez ma grand-mère la journée. J’étais alitée dans sa chambre. De là, j’apercevais la vieille photo sépia du mariage de ses parents qui trônait au mûr juste au dessus de sa machine à coudre à pédale. Encore fiévreuse, je fus néanmoins autorisée à regarder la télévision qui passait « Le magicien d’Oz ». Un film impressionnant pour moi. Avec la maison qui s’envole lors d’une tempête. J’en ai fait des cauchemars la nuit suivante.
Ma grand-mère était une petite bonne femme très dynamique. Un vrai personnage. Son amour me manque. De l’enfance, cette période insouciante où tout est magique, j’en garde l’exigence de liberté, l’attrait de la découverte et le goût pour la soupe de légumes.